Nous avons vu que nous oublions très rapidement une grande partie de ce que nous apprenons.
Sans stratégie particulière pour lutter contre la courbe de l’oubli, nous oublions plus de 50% de ce que nous avons appris en à peine une heure de temps et le lendemain d’une séance de travail, il ne nous reste déjà plus en mémoire que 30% des informations que nous avons apprises.
Ces résultats, nous l’avons vu, ce sont ceux obtenus par Herman Ebbinghaus lors de la mémorisation de listes de syllabes aléatoires, des syllabes sans aucun sens auquel se raccrocher, présentées à un rythme soutenu ne permettant pas de développer des liens ou des moyens mnémotechniques pour les retenir plus facilement.
Ces listes étaient travaillées et retenues par Ebbinghaus par un simple effet de répétition, en rabâchant encore et encore l’apprentissage. Je pense qu’on peut affirmer avec certitude que la puissance de la mémoire initiale créée par ce mécanisme est plutôt très très faible.
Pourtant, si vous réfléchissez un peu, vous vous souviendrez sans doute que cet apprentissage par cœur est le seul que l’on nous a vraiment « appris » à l’école.
Tout au long de nos études, on nous a demandé de retenir des montagnes et des montagnes de connaissances, mais personne ne nous a vraiment appris comment apprendre et mémoriser efficacement au-delà du simple « par cœur », qui ressemble beaucoup au processus d’Ebbinghaus : nous avons répété et répété encore listes de vocabulaire et tables de conjugaison jusqu’à ce qu’elles « rentrent » dans notre cerveau, pour un temps plus ou moins long, et sans aucune garantie véritable de pouvoir s’en souvenir au moment où nous en aurions besoin…
La première façon de lutter contre la courbe de l’oubli est pourtant toute simple. Il s’agit de créer une mémoire, une trace mnésique initiale plus forte dans notre cerveau quand on apprend quelque chose.
Cela ne garantit pas que nous n’oublierons jamais l’information que nous cherchons à retenir. La courbe de l’oubli fera toujours son œuvre. Mais cela signifie que l’information aura été encodée dans notre cerveau de façon beaucoup plus forte, beaucoup plus profonde, que nous mettrons bien plus de temps à l’oublier et qu’elle sera plus facilement réactivée. Elle sera extrêmement plus mémorable.
Liens forts vs. Liens faibles
La qualité de cet encodage initial de l’information dans notre cerveau s’étale sur un spectre qui va de superficiel à profond.
Un encodage superficiel, c’est par exemple ce qui se passe quand vous essayez de retenir un numéro de téléphone, un tableau de conjugaison ou une liste de syllabes aléatoires – comme Herman Ebbinghaus – en vous les répétant simplement dans la tête. Le résultat est bien souvent un oubli total de l’information au bout de quelques minutes…
Un encodage profond, c’est quand vous arrivez à créer des connexions puissantes entre l’information que vous souhaitez retenir et les réseaux de neurones de votre cerveau. Vous arrivez par exemple à faire des liens avec d’autres connaissances que vous avez déjà, ou des liens avec des expériences personnelles. Plus les liens que vous arriverez à tisser seront nombreux et forts, plus vous parviendrez à embarquer de zones de votre cerveau, et plus l’information que vous souhaitez retenir sera mémorable.
C’est ce qui s’est passé naturellement quand vous avez appris le mot « pain » dans votre enfance, si vous habitez en France (voir l’article sur le fonctionnement de la mémoire). Si vous habitez dans un autre pays, je suis sûre que vous pouvez trouver un exemple personnel qui vous parle. Pensez à votre friandise ou à votre plat préféré. Il y a forcément une foule de souvenirs qui vont remonter à la surface! 😉
Le plus fort, c’est qu’à l’époque, vous n’avez même pas cherché consciemment à mémoriser et à retenir quoi que ce soit. La mémorisation s’est faite tout naturellement grâce à l’ampleur du réseau et au nombre de liens que l’expérience a créé dans votre cerveau. La répétition de l’information au cours du temps a fait le reste!
Encodage de l’information : une étape cruciale du processus de mémorisation
Cet encodage initial de l’information est une étape cruciale du processus de mémorisation.
Il a un effet considérable sur notre capacité à retenir l’information sur le long terme.
Il a aussi un effet considérable sur notre capacité à retrouver cette information et pouvoir l’utiliser quand on en a besoin!
Imaginez une bibliothèque : si les livres sont rangés n’importe comment et qu’il n’y a pas moyen de retrouver le livre dont vous avez besoin à un instant donné, alors les centaines et les centaines de livres que vous avez amassé tout au long de votre vie ne vont pas vous servir à grand-chose! 😉
Tous les systèmes de rangement et tous les encodages ne se valent pas!
Ca veut dire qu’avant même d’envisager répéter et réviser régulièrement une information pour l’ancrer en mémoire long terme – ce qu’il va falloir faire quoiqu’il arrive – il va falloir soigner la façon dont on l’encode dans le cerveau pour optimiser nos chances de la retenir, mais aussi de pouvoir la réutiliser!
Cet acte d’encodage, c’est un acte de mémorisation volontaire, mais aussi un acte éminemment personnel.
Le but, c’est de faire en sorte que l’information soit la plus mémorable pour vous, et pour personne d’autre.
Le but, c’est de tisser un maximum de liens et de connexions dans votre cerveau, et celui de personne d’autre.
Les liens que vous ferez, les images et les éléments personnels que vous utiliserez ne peuvent provenir que de vous.
Ce qui est efficace pour vous ne le sera pas nécessairement pour quelqu’un d’autre.
Et ce qui est efficace pour quelqu’un d’autre ne le sera pas nécessairement pour vous.
C’est une des raisons pour lesquelles toutes les applications et logiciels magiques aux contenus pré-fabriqués ont au final un impact plutôt faible en terme d’apprentissage des langues. Ils sont en général agréables à utiliser et donnent l’impression de travailler dans le bon sens, en révisant des mots, mais aucune connexion personnelle et aucune personnalisation des contenus n’est possible. Impossible donc de développer des mémoires fortes en utilisant un encodage profond, qui permet une mémorisation, mais aussi une restitution optimale de l’information.
Une fois qu’on a travaillé la qualité de l’encodage de l’information dans notre cerveau, il est alors temps d’ancrer nos nouveaux apprentissages sur le long terme grâce à la répétition. Mais attention ! Pas n’importe quelle répétition ! Contrairement à ce que l’on pourrait penser, et contrairement à ce que l’on a pu nous faire croire pendant longtemps, l’optimal n’est pas de travailler comme un dur tous les jours, en rabâchant pendant des heures et des heures les mêmes leçons, les mêmes listes de vocabulaire et règles de grammaire. Non, pour mémoriser de façon optimale, il est possible, et même souhaitable(!), d’être un peu fainéant.e et de réviser juste ce qui est nécessaire, au moment le plus opportun! 😉 C’est toute la puissance du mécanisme de répétition espacée dont nous parlerons ensemble dans le prochain article. A tout de suite !