Dans l’article précédent, nous avons vu ensemble une façon très simple et très intuitive de définir les 4 niveaux de maîtrise d’une langue étrangère et le point magique à viser en priorité numéro 1 pour optimiser ses chances de réussite.
Les gens sont toujours énormément surpris de la simplicité de cette échelle, surpris que je ne fasse qu’évoquer les référentiels officiels qu’on voit partout sans les approfondir ou les utiliser, et que je n’encourage pas particulièrement les gens à passer des tests de langue officiels, sauf dans deux cas très précis que nous allons voir ensemble en fin d’article.
Et après tout la question est légitime : pourquoi se donner un autre référentiel de progression, une autre boussole interne, aussi simple soit-elle, alors qu’il existe déjà là dehors des cadres et des tests qui ont été définis tout spécialement pour ça : évaluer notre niveau de maîtrise d’une langue ?
L’ensemble des polyglottes que je connais partagent cette même tendance à s’écarter des référentiels et tests officiels. Les raisons pour ça sont vraiment fondamentales et méritent qu’on s’y attarde quelques minutes pour ne plus y revenir. Le fond du problème, c’est que ces référentiels officiels, malgré toutes les bonnes intentions et les objectifs qu’ils se donnent, sont quasiment inutisables au quotidien pour piloter un apprentissage efficace, et que la façon dont les tests de langue sont construits a très peu de choses à voir au fond avec une vraie mesure de compétence. Ca peut paraître ironique, car c’est ce qu’ils prétendent pouvoir faire, mais c’est malheureusement vrai.
Problème #1 : Pas de référentiel unique pour juger du niveau de maîtrise d’une langue
Il n’existe pas aujourd’hui de référentiel unique, universel, utilisé partout autour du monde, pour évaluer le degré de maîtrise d’une langue étrangère, mais toute une myriade de cadres d’évaluation officiels, académiques ou institutionnels, utilisés dans telle ou telle partie du monde. Le seul point commun de ces référentiels est qu’ils se basent en général sur l’évaluation des compétences dans les 4 dimensions fondamentales que sont : l’écoute, l’expression orale, la lecture et l’expression écrite. Mais cela ne va pas plus loin. La liste des compétences à évaluer, leur description, le nombre de niveaux et la répartition des compétences mesurées entre les niveaux varient d’un référentiel à l’autre. En fait, il y a quasiment autant de référentiels que de tests de certification en langue, ce qui fait beaucoup!
Je vous mets juste ICI le lien vers la page Wikipedia (en anglais) qui tente de répertorier l’ensemble des tests de certifications officiels en langue existants aujourd’hui. Certains ont une portée internationale, d’autres sont spécifiques à des organismes de formation. Certains ont pour vocation de mesurer des connaissances générales en langue, alors que d’autres sont spécifiquement orientés vers les études ou le business.
Vous verrez, la liste a de quoi donner le tournis! Des tests de certification en langue, il y en a littéralement des centaines autour du monde. Rien que pour l’anglais, pour prendre un exemple, il y en a 98 de listés…
La première conséquence de la multiplicité de ces référentiels est une difficulté extrême à comprendre et « traduire » son niveau de maîtrise en langue d’une échelle à l’autre…
Et la deuxième conséquence c’est la question du référentiel à choisir pour piloter son apprentissage : si je tiens vraiment à utiliser un cadre « officiel » comme boussole pour juger de ma progression dans la maîtrise d’une langue, lequel dois-je choisir ? Quel est le meilleur, le plus pragmatique, le plus pertinent?
Je serai bien en peine de répondre à cette question, qui demanderait l’analyse comparé de tous les référentiels d’évaluation linguistique existant aujourd’hui autour du monde, ce qui ne fait absolument pas partie de mes projets… et n’est absolument pas nécessaire pour piloter son apprentissage en langue de manière efficace ! 😉
Au niveau Européen, nous disposons du CECR, le Cadre Européen Commun de Référence pour les langues, qui répartit les compétences linguistiques en 6 niveaux (A1, A2, B1, B2, C1, C2). Si vous êtes Européen, vous en avez forcément entendu parler, un jour ou un autre. Un des objectifs avoués de ce référentiel, c’est de servir de base unique permettant “de comparer des tests et des examens en différentes langues”, mais aussi de “fixer des objectifs d’apprentissage”, de “(ré)organiser des enseignements” et de “concevoir des manuels pédagogiques”.
Le CECR est un référentiel adopté de plus en plus largement, pas seulement en Europe, mais également autour du monde pour structurer des cours, tests et examens. De plus en plus de tests et certifications linguistiques existantes fournissent des tableaux d’équivalence entre leurs grilles d’évaluation et les niveaux du CECR. L’initiative est excellente, mais on est encore loin du compte, et “comprendre” comment son niveau de maîtrise se traduit d’un référentiel à l’autre reste encore largement une tâche impossible. Les forums en ligne sont plein de questions d’apprenants en langues qui s’arrachent les cheveux en essayant de comprendre ce que leur score dans un test leur donne comme niveau dans un autre !
Problème #2 : Peu d’utilité pratique de ces référentiels pour piloter son apprentissage au quotidien
Même si on choisit un de ces référentiels comme base et qu’on s’y tient, on découvre rapidement qu’il a très peu d’utilité pratique pour piloter son apprentissage au quotidien. Mettons par exemple que vous choisissiez d’utiliser le CECR, la star montante des cadres d’évaluation linguistique pour piloter votre apprentissage d’une langue. Vous disposez alors d’un cadre plutôt bien fait et bien documenté avec des tableaux détaillés qui expliquent, niveau par niveau, ce que vous êtes sensés savoir faire ou de ne pas faire à chaque niveau, de A1 à C2. Vous pouvez par exemple retrouver une grille d’auto-évaluation de vos compétences ICI.
Malheureusement, ce genre de tableau n‘a pour moi strictement aucune valeur pratique pour piloter mon apprentissage au quotidien. Les libellés restent dans l’ensemble très généraux et vagues. On y trouve des termes comme “phrases simples”, “tournures courantes” ou “vocabulaire très fréquent” qui peuvent recouvrir des réalités très diverses. D’ailleurs, les critères du CECR sont précisés et évalués de manière différentes par les différents tests et organismes de certification qui se basent pourtant dessus. Un des champs de personnalisation les plus évident est celui du vocabulaire testé : si vous passez un test de certification “généraliste” ou un test de certification orienté business, vous ne serez absolument pas testé sur les mêmes choses.
C’est pour cela que je préfère encore me servir de l’échelle ultra simple et ultra intuitive que nous avons vue ensemble dans l’article précédent. Pas de tableau compliqué en 6 niveaux avec des critères flous, juste 4 niveaux très intuitifs qui reflètent la situation d’aisance globale dans laquelle on se trouve et les points de bascule importants à franchir sur le chemin. C’est tout, et ça suffit amplement! 🙂
Problème #3 : Tests de langue, une mesure de « compétence » plus qu’imparfaite !
On en arrive au coeur de ce qui fait que les tests de langue sont globalement de peu d’utilité pratique pour un apprenant en langue : leur objectif est la validation de “certaines connaissances”, mais ils n’ont que très peu de choses à voir au fond avec une vraie mesure de compétence.
Tous ceux qui se sont préparés à un test de langue un jour le savent : l’essentiel de l’effort de préparation à un test est consacré au fait de se familiariser avec l’esprit du test, ses exigences, son format, les sujets habituels, les thèmes récurrents, les figures obligées, pour bien sûr le réussir. On ne travaille pas nécessairement les sujets qui nous intéressent, ni ceux qui nous seront le plus utiles au quotidien, dans notre contexte particulier, pour réaliser nos objectifs, mais ceux qui seront utiles pour réussir le test ! Le focus principal n’est pas d’améliorer ses compétences linguistiques mais de tout faire pour être « certifié conforme », cocher des cases et valider l’acquisition d’un certain nombre de connaissances arbitrairement listées par un comité.
Il y a bien sûr un recouvrement entre les deux objectifs, « améliorer ses compétences en langues » et « potasser les connaissances nécessaires pour le test », mais il est marginal. Car il ne faut pas oublier que « savoir communiquer dans une langue étrangère » est une compétence, pas un savoir. Ingurgiter des listes entières de vocabulaire, des dizaines de milliers de règles de grammaire, des connaissances sur la langue, ne suffit pas et n’est absolument pas la garantie de savoir communiquer correctement et efficacement dans la langue, pas plus que connaître les ingrédients d’une recette n’est la garantie de savoir la cuisiner correctement, ou que connaître les éléments fondamentaux d’un swing parfait vous permettra de le réaliser sur un green de golf. Or malgré tous les efforts et toutes les réflexions réalisées sur le système éducatif, les méthodes d’enseignement et de certification des acquis en vigueur aujourd’hui (diplômes, tests…) n’ont quasiment rien à voir avec l’acquisition de compétences. On peut d’ailleurs tout à fait réussir un test de langue de façon très honorable sans nécessairement savoir s’exprimer et communiquer efficacement dans la langue cible dans la vraie vie.
Dans mon expérience personnelle, le recouvrement entre les deux objectifs « améliorer mes compétences en langues » et « potasser les connaissances nécessaires pour un test de langue» n’a pas seulement été marginal mais inexistant. Je me souviens d’avoir passé un temps infini à potasser des annales, lire des textes et écouter des audios ennuyeux à pleurer, d’avoir fait des centaines de tests de logique et de raisonnement sciemment tordus, d’avoir réalisé des milliers de tests blanc pour rencontrer un maximum de ces pièges habituels qu’affectionnent les concepteurs de tests, mais je ne me souviens pas d’avoir progressé d’un iota dans mes compétences en langue en préparant un test. J’ai atteint le sommet de l’absurdité dans mon expérience – cela n’engage que moi, peut-être que certains d’entre vous auront adoré l’expérience ! 😉 – en préparant le GMAT, un test souvent demandé aux candidats de MBA, dont l’objectif est de déterminer la capacité du testé à raisonner en anglais. Un véritable tue l’amour à la fois pour l’anglais et le raisonnement, deux choses que j’adore par ailleurs, qui ne m’a fait progresser ni dans l’une ni dans l’autre !
C’est la raison pour laquelle je n’encourage pas particulièrement les gens à se lancer dans la préparation effrenée de tests de langue officiels, sauf dans deux cas particuliers que nous allons voir tout de suite. Nous avons tous un temps limité par jour à investir dans notre formation. Autant faire que ce temps soit investi à 100 % sur des tâches et des entrainements spécifiques qui nous permettrons vraiment d’améliorer nos compétences en langue et à atteindre nos objectifs de communication, non à comprendre l’esprit d’un test ou se donner l’illusion d’avoir atteint un niveau que l’on n’a pas vraiment.
Les 2 situations où passer un test de langue officielle est une bonne idée
1. Quand c’est obligatoire !
Malgré leur manque d’utilité pratique pour piloter un apprentissage efficace au quotidien, les référentiels et tests de langue ont bien sûr leur utilité, qui est de fournir un cadre formel, officiel pour estimer et comparer, de la façon la plus objective possible, les compétences en langue de différents candidats.
Disposer d’un certificat en langue étrangère peut faire partie des conditions d’accès à un poste ou à certaines fonctions. Les certifications en langue sont évidemment fondamentales si vous souhaitez devenir traducteur par exemple, ou travailler dans des organisations Européennes ou internationales. Si vous souhaitez travailler dans un autre pays que la France, votre futur employeur pourra vous demander de justifier d’un certain niveau dans la maîtrise de la langue de votre pays d’accueil avant de vous embaucher. Même en France, justifier d’un certain niveau de maîtrise en langue étrangère peut-être une condition à l’entrée pour des postes de cadres ou techniciens évoluant dans un contexte international.
Parfois, disposer de cette compétence peut être particulièrement crucial, car elle engage la sécurité. On peut penser par exemple aux personnels navigant, aussi bien par voie ferrée ou aérienne, qui doivent amener en toute sécurité des passagers d’un pays à l’autre. Une bonne maîtrise de l’anglais, ou en tout cas de l’anglais opérationnel nécessaire à la bonne opération des transports et la sécurité du voyage est indispensable. Nous avons tous envie de voyager en sécurité. Les compétences en langue des personnes qui assurent notre transport sont donc fondamentales. Et pourtant chaque année, de nombreux accidents autour du monde sont dus à des difficultés et des incompréhensions liées à un manque de maîtrise des langues.
2. Comme motivation !
Certaines personnes utilisent les tests de langue officiels pour se motiver. Cela leur donne un objectif clair vers lequel diriger leurs efforts, un challenge avec une date précise, figée dans le temps et inflexible, qu’ils devront respecter à tout prix. En général, les personnes qui les entourent sont au courant qu’ils vont passer le test, ce qui crée un facteur d’«engagement social» très important. A partir du moment où les personnes qui vous entourent, votre famille, vos collègues, vos amis sont au courant de votre objectif, il devient difficile de se dégonfler et de ne pas tenir son engagement à passer le test. En plus le test, une fois passé, procure une mesure du travail effectué (aussi imparfaite soit-elle!!) mais aussi une récompense, puisqu’un test réussi est un certificat que l’on peut produire, une preuve officielle utile pour débloquer de nouvelles opportunités.
En dehors de ces deux cas précis, qui ont chacun leur importance, et si vous vous posez la question, je ne vous conseillerai pas particulièrement de vous lancer à la conquête de certifications en langue. Votre temps est précieux. Il s’agit donc de l’investir intelligemment sur des activités et des entrainements spécifiques qui vous permettront VRAIMENT d’améliorer vos compétences en langue, qui vous feront VRAIMENT avancer en direction de vos objectifs et vous procureront BEAUCOUP plus de plaisir sur le chemin que toutes les annales que vous pourriez potasser !
Ce que je dis souvent, car c’est mon expérience, c’est que la vraie réussite en langue, le vrai test, c’est celui de la vraie vie! Quand vous arrivez à vous fondre dans la population d’un autre pays, que vous êtes capable de sortir, d’échanger, d’aller au cinéma ou au théâtre, de rire avec des amis, de développer des amitiés durables sans aucun frein ni souci, alors vous avez réussi ! Quand vous passez un entretien ou donnez une présentation et que vous êtes à l’aise, que vous vous exprimez de manière fluide et intelligible, avec le bon vocabulaire et un bon accent, on vous demande rarement un papier pour justifier de vos compétences en langue. Ca a été le cas dans tous mes entretiens d’embauche avec l’anglais et pour la petite histoire, c’est aussi ce qui s’est passé avec le GMAT. Je ne vous raconte même pas avec quel niveau de plaisir je me suis débarrassée des bouquins d’annales, et avec quelle vitesse j’ai réinvesti le temps gagné à potasser bêtement dans des activités qui m’ont encore fait passer au niveau supérieur ! 😉